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Nouveautés : procédure pénale et exécution des peines

Publié le : 28/04/2020 28 avril avr. 04 2020

Nouveautés : procédure pénale et exécution des peines 
L’essentiel de l’arrêté royal portant des dispositions diverses en matière de procédure pénale et exécution des peines 


Depuis plusieurs semaines 1  , le gouvernement fédéral est doté de « pouvoirs spéciaux » qui lui permettent de prendre des mesures d'urgence pour gérer la crise du Coronavirus, sans devoir passer par les procédures ordinaires, lesquelles s’avèrent généralement longues. 

L’arrêté royal n°3 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l'exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19, publié au Moniteur belge le 9 avril 2020, a été adopté dans ce contexte 2

Selon le rapport au Roi, il « vise à résoudre une série de problèmes urgents relatifs à la procédure pénale, à l'exécution des peines et à la sécurité dans le cadre de la lutte contre la menace du coronavirus COVID-19 ». 
Les mesures qui y figurent sont prises pour la durée de la pandémie, soit pour la période qui s’étend du 18 mars  3  au 3 mai 2020 4 . Passons-les brièvement en revue 5

1.    Suspension des délais de prescription (art. 3) 

« Afin de garantir le bon fonctionnement des instances judiciaires tout en protégeant le personnel et les justiciables contre les risques d'infection par le coronavirus, et afin d'assurer la continuité du processus judiciaire au niveau pénal » 6 , le législateur a décidé de suspendre, pendant la durée de la crise sanitaire, complétée d’un mois, les délais de prescription de l’action publique et des peines.

1.1.    Suspension des délais de prescription de l’action publique 

Cette mesure fait obstacle à l'écoulement des délais de prescription de l'action publique, c’est-à-dire que les délais dans lesquels l’Etat doit agir pour poursuivre et juger quelqu’un sont tenus en suspens.  Cela aura pour effet « d’allonger » les délais.

L’objectif poursuivi par le gouvernement est d’éviter la prescription des infractions (tant du Code pénal que des lois particulières) en raison du fait que les instances judiciaires sont actuellement contraintes de limiter leurs activités aux affaires les plus urgentes et les plus importantes, en délaissant leurs missions habituelles d’exercice des poursuites pénales...

1.2.    Suspension des délais de prescription des peines 

« Les autorités judiciaires ont pour mission d'assurer l'exécution des peines prononcées par les juridictions. Or, en raison de la crise du coronavirus, cette mission ne peut plus être assurée pleinement. En effet, les autorités judiciaires sont contraintes à limiter leurs interventions à l'exécution des peines les plus importantes pour protéger l'ordre public et la sécurité publique. En outre, en ce qui concerne les peines de privation de liberté, les autorités judiciaires veillent à limiter autant que possible les entrées de nouveaux détenus dans les prisons pour protéger ceux-ci, les personnes déjà détenues et le personnel des prisons contre les risques d'infection au coronavirus et veillent aussi à contenir la surpopulation carcérale durant la pandémie de coronavirus » 7

Partant de ce constat, le gouvernement a décidé de suspendre les délais de prescription des peines jusqu’au 3 mai 2020.  


2.    Limitation de la présence physique des parties aux audiences et la limitation du transfert des personnes privées de liberté 


Afin de protéger les justiciables et de diminuer le risque de pic d’infection, le gouvernement a drastiquement limité la présence physique des parties aux audiences des cours et tribunaux par l’adoption de plusieurs mesures.

2.1.    Recours à la procédure écrite devant la chambre des mises en accusation (art. 2)

Pour les recours introduits devant la chambre des mises en accusation en matière d’accès au dossier répressif 8 , de référé pénal 9 , d’actes d’instruction complémentaires 10 , de saisie des avoirs patrimoniaux  11 et de destruction des biens saisis 12 , le gouvernement a prévu un traitement par écrit à condition que le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire soit respectés (dont les explications sont détaillées par l’article 2 de l’arrêté royal  13 ).

2.2.    « Rapatriement » des audiences du tribunal de l’application des peines et de la chambre de protection sociale dans les bâtiments judiciaires (art. 18)

Habituellement, le tribunal de l’application des peines et la chambre de protection sociale siègent dans les établissements pénitentiaires et établissements de défense sociale lorsque les personnes concernées sont privées de liberté. 
En raison de la crise du coronavirus, il est à présent recommandé à ces juridictions de siéger en tout temps, et sans la présence du détenu, dans un tribunal de première instance situé dans le ressort de la cour d'appel.

2.3.    Représentation du détenu et de la victime par leurs avocats devant le tribunal de l’application des peines 14  et la chambre de protection sociale (art. 4, 5, 16 et 17) 

En principe, le condamné ou l’interné, généralement privé de sa liberté, a le droit d’être entendu, et donc de comparaître devant le tribunal de l’application des peines ou la chambre de protection sociale. Il en va de même pour la victime lorsque la loi lui permet d’être entendue pour faire valoir ses intérêts. 

Toutefois, le transfèrement de détenus vers les lieux où se tiennent les audiences « présente un risque élevé de contagion. En outre, les services (de transport) compétents sont également confrontés aux absences de leur personnel pour cause de maladie » 15 .

Partant, le tribunal de l'application des peines ou la chambre de protection sociale entend, pour la durée des mesures de crise, uniquement les conseils du condamné ou de l'interné ainsi que des victimes, sauf décision contraire motivée, laquelle n'est susceptible d'aucun recours.


3.    Promotion des conditions de vie et de travail au sein des établissements pénitentiaires 

Les mesures relatives à la promotion des conditions de vie et de travail au sein des établissements pénitentiaires adoptées par l’arrêté royal n°3 font suite aux recommandations, que ce dernier tente d’intégrer en droit belge, figurant dans la « Déclaration de principes relative au traitement des personnes privées de liberté dans le contexte de la pandémie de coronavirus (COVID-19) » adoptée par le Comité européen pour la prévention de la torture le 20 mars 2020.

3.1.    Interruption de l’exécution de la peine « Coronavirus Covid-19 » (art. 6 à 13)

L’interruption de l’exécution de la peine permet au condamné de sortir, le temps de la crise sanitaire, de l’établissement pénitentiaire où il est incarcéré. Pendant ce laps de temps, le condamné ne subit pas sa peine, laquelle est donc « reportée » dans le temps.

L’interruption de l’exécution de la peine vise plusieurs objectifs : réduire la concentration de la population pénitentiaire, limiter les risques pour la santé liés aux entrée et sorties de la prison et ainsi diminuer le risque de pic d'infection. Elle permet également aux détenus dits « vulnérables » 16  d’avoir accès à des soins spécialisés, et de diminuer le nombre de transfèrements et de séjours de détenus dans des hôpitaux externes. 

L’interruption de la peine est donc une mesure qui se situe à un niveau collectif, et non individuel ; il ne s’agit, en effet, en rien d’un droit subjectif du condamné ou d’un « cadeau » qui lui est fait.   
La mesure peut être octroyée par le directeur au condamné moyennant le respect des conditions suivantes :

-  le condamné a déjà bénéficié, dans les six derniers mois, d'au moins un congé pénitentiaire de trente-six heures qui s'est bien déroulé, ou il exécute sa peine sous forme de détention limitée pourvu qu'il jouisse déjà de congé pénitentiaire dans ce cadre, ou il appartient au groupe risque des personnes vulnérables au développement de symptômes graves du coronavirus COVID-19 17
-  le condamné dispose d'une adresse fixe ;
-  il n'existe pas, dans le chef du condamné, de contre-indications (soustraction à l’exécution de peine, récidive, comportements inadaptés à l’égard des victimes et non-respect des mesures de confinement) ; 
-  il n'y a aucune indication que le condamné causera des problèmes de santé aux personnes chez qui il séjournera ;
-  le condamné marque son accord par écrit avec l'interruption de l'exécution de la peine et les conditions générales qui y sont attachées ; 
-  le condamné n’est pas exclu du bénéfice de la mesure 18 .


Le directeur assortit la décision d'octroi de l'interruption de l'exécution de la peine de la peine des conditions générales suivantes : 

-    ne pas commettre de nouvelles infractions ; 
-    être joignable téléphoniquement en permanence ;
-    revenir à la prison à la demande du directeur ; 
-    ne pas se rendre à l'étranger ; 
-    ne pas importuner les victimes ; 
-    quitter immédiatement les lieux lorsqu'il rencontre une victime ;
-    se conformer aux mesures de confinement.

Le directeur notifie sa décision tant au procureur du Roi qu’aux éventuelles victimes. 

Si, lors de l’exécution de la mesure, le condamné met gravement en péril l’intégrité physique ou psychique de tierces victimes, le procureur peut procéder à son arrestation provisoire, à la suite de laquelle le directeur décide, dans les sept jours, s’il révoque la mesure ou s’il autorise sa poursuite. 

L’interruption de la peine peut aussi être révoquée par le directeur en cas de non-respect des conditions ; la victime en est alors informée.

Enfin, préalablement à la date de fin connue au moment de l'octroi de l'interruption de l'exécution de la peine, le condamné prend contact avec la prison afin de savoir si la mesure est prolongée ou s'il doit réintégrer la prison.

3.2.    Libération anticipée des condamnés sur décision du directeur à partir de 6 mois avant la fin de la peine (art. 15) 

La libération anticipée est accordée par le directeur (qui en informe le procureur du Roi et la victime éventuelle), après avoir vérifié sa faisabilité sur la base des critères de l’hébergement et des moyens d’existence, à partir de six mois avant la fin de la partie exécutoire de la ou les peines privatives de liberté auxquelles il a été condamné. Elle est également possible pour les condamnés qui ont bénéficié d'une interruption de l'exécution de la peine. 

Elle est toutefois exclue pour un certain nombre de condamnés 19 .

Pendant le délai d'épreuve (qui est égal à la durée de la peine qu’il restait à subir), le condamné est soumis aux conditions générales suivantes : 

-    ne pas commettre de nouvelles infractions ;
-    ne pas importuner les victimes ;
-    quitter immédiatement les lieux lorsqu'il rencontre une victime ;
-    se conformer aux mesures imposées par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19.

En cas de non-respect de ces conditions, le directeur peut révoquer la libération anticipée. La victime en est informée.

Si le condamné met gravement en péril l'intégrité physique ou psychique de tiers pendant le délai d'épreuve, le procureur du Roi peut ordonner son arrestation provisoire, auquel cas le directeur dispose d’un délai de sept jours pour décider de révoquer ou non la mesure. Le condamné, le procureur du Roi et la victime en sont informés.

3.3.    Suspension de l’exécution des modalités de sortie déjà accordées (art. 14) 

Le gouvernement suspend l’exécution des modalités d’exécution de la peine déjà accordées (permissions de sortie, congés pénitentiaires et détentions limitées) pour les condamnés qui se sont vu refuser l’interruption de la peine ou qui ne sont pas dans les conditions pour en bénéficier 20

De nouvelles demandes peuvent toutefois être introduites et traitées, mais leur exécution effective sera également suspendue.
 
Cette mesure vise logiquement à « éviter que la contamination vienne de la société libre dans les prisons par l'intermédiaire des condamnés qui bénéficient de modalités d'exécution de la peine et qui sortent et reviennent fréquemment à la prison » 21

4.    Les adaptations relatives à certaines mesures d’enquête 

Selon le rapport au Roi, « l'objectif général (des mesures relatives à certains actes d’enquête) est de prendre en compte le retard qui va s'accumuler dans certaines enquêtes et la perte de capacité au niveau de la magistrature comme de la police. Les modifications sont limitées à ce qui semble indispensable pour faire face à la crise, en prenant en compte la nécessité de continuer à protéger les droits des citoyens, en particulier le droit à la protection de la vie privée ».

4.1.    Modifications en matière de recherches dans le domaine des (télé)communications et des systèmes informatiques (art. 19 et 20)

Les articles 46bis et 88bis du Code d'instruction criminelle 22 relatifs aux recherches dans le domaine des (télé)communications et des systèmes informatiques (exemples : recherches dans les ordinateurs, les téléphones…) sont modifiés, plus particulièrement en ce qui concerne la période passée durant laquelle le procureur du Roi et le juge d'instruction peuvent recourir aux données conservées sur la base de l'article 126 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques. 

Ces périodes sont, en effet, allongées afin que les données intéressant les enquêteurs puissent être demandées plusieurs mois avant le début de la pandémie du coronavirus, lequel a été arrêté au 18 mars 2020. 

Pour les détails, il est fait renvoi aux articles 19 et 20 de l’arrêté royal n°3.
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4.2.    Modifications des articles relatifs aux écoutes, à la prise de connaissance et à l’enregistrement de communications et de télécommunications privées (art. 21 et 22) 

Les articles 90quater et 90quinquies du Code d’instruction criminelle 23 – relatifs aux écoutes, à la prise de connaissance et à l’enregistrement de communications et de télécommunications privées – ont fait l'objet d'un certain nombre d'adaptations afin de pallier au manque d’effectifs lié à la crise du coronavirus.  

Ainsi, par dérogation à l'article 90quater, § 3, alinéa 3 du Code d’instruction criminelle, et pour la durée de la crise, les officiers de police judiciaire commis ne font rapport par écrit au juge d'instruction que lorsque la mesure a été démarrée techniquement de manière correcte. Le rapportage par écrit tous les cinq jours sur l'exécution de la mesure est également supprimé.

En outre, par dérogation à l'article 90quinquies du même Code, et pour la durée de la crise, le juge d'instruction peut, à tout moment, mettre fin à, relancer, prolonger ou renouveler la mesure visée à l'article 90ter du même Code. Auparavant, la relance n’était pas permise. Celle-ci permet, sans nouvelle autorisation, de mettre fin à une mesure en cours et de la relancer (une fois qu’une capacité sera à nouveau présente) pour autant que la mesure ne perdure pas au-delà de la fin de la période fixée par le juge d'instruction lorsqu'il a pris initialement la mesure.

1 Voy. la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 30 mars 2020.
2 Cet arrêté royal a été soumis à l’avis du Conseil d’Etat (n°67.181/1). 
3   L’arrêté royal n°3 du 9 avril 2020 a donc un effet rétroactif, mais uniquement en ce qui concerne les articles 6 à 14 (interruption de l’exécution de la peine et suspension des modalités de sortie).
4 Cette date de fin peut toutefois être adaptée par le Roi. En outre, elle est portée au 3 juin 2020 pour les mesures visées aux articles 19 et 20 (mesures d’enquête) de l’arrêté royal n°3.
5 Le présent texte constitue une analyse descriptive (et non critique) de l’arrêté royal n°3.
6 Voy. le rapport au Roi de l’arrêté royal n°3.

Voy. le rapport au Roi joint à l’arrêté royal n°3. 
Art. 21bis, §§ 7 et 8 et 61ter, §§ 5 et 6 C.I.cr.
9 Art. 28sexies, § 4 et 61quater, §§ 5 et 6 C.I.cr.
10 Art. 61quinquies,§§ 4 et 5 C.I.cr
11 Art. 28octies, § 4 et 61sexies, § 4 C.I.cr.
12 Art. 28novies, § 7 C.I.cr.
13 Avant le traitement par écrit de l'affaire, le procureur général, le requérant ou son avocat peuvent soumettre leurs commentaires par écrit à la chambre des mises en accusation, laquelle est tenue de transmettre ces commentaires aux autres parties, pour remarques éventuelles complémentaires. 
14 Ou le juge de l’application des peines
15 Voy. le rapport au Roi de l’arrêté royal n°3.
16 Soit les personnes âgées de plus de 65 ans, les personnes souffrant de graves maladies chroniques (diabète, maladies cardiaques, pulmonaires ou des reins) et les personnes dont le système immunitaire est affaibli.
17 Lorsque le directeur n'octroie pas l'interruption de peine au condamné qui a déjà bénéficié, dans les six derniers mois, d'au moins un congé pénitentiaire de trente-six heures qui s'est bien déroulé, ou qui bénéficie d'une détention limitée ou d'une semi-liberté et qui ne fait pas partie de la catégorie exclue, il doit prendre une décision de refus motivée.    
18 Sont exclus du bénéfice de l’interruption de la peine : les condamnés qui subissent une ou plusieurs peines privatives de liberté dont le total s'élève à plus de 10 ans ; les condamnés qui subissent une ou plusieurs peine(s) d'emprisonnement pour des faits visés aux Livre II, Titre Iter du Code pénal (infractions terroristes) et les condamnés qui subissent une ou plusieurs peine(s) d'emprisonnement pour des faits visés aux articles 371/1 à 378bis du Code pénal (infractions de mœurs).
19 Soit les condamnés qui subissent une ou plusieurs peines privatives de liberté dont le total d'élève à plus de 10 ans ; les condamnés qui subissent une ou plusieurs peine(s) d'emprisonnement pour des faits visés aux Livre II, Titre Iter du Code pénal (infractions terroristes) ;  les condamnés qui subissent une ou plusieurs peine(s) d'emprisonnement pour des faits visés aux articles 371/1 à 378bis du Code pénal (infractions de mœurs);  les condamnés qui font l'objet d'une condamnation avec une mise à disposition du tribunal de l'application des peines ; les condamnés qui n'ont pas de droit de séjour et qui sont soumis au régime prévu dans l'article 20/1 de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d'exécution de la peine.
20 Une exception est toutefois prévue si le directeur estime qu’il a affaire à un cas de situation urgente et humanitaire.
21 Voy. le rapport au Roi.
22 Sur ces articles, voy. O. MICHIELS et G. FALQUE, Principes de procédure pénale, Coll. de la Faculté de Liège, Larcier, 2019, pp. 198-200 et 257-259.
23 Sur ces articles, voy. ibidem, pp. 260-264.

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